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Les causes de l'evolution sematiques des mots




Sur les causes de l'évolution sémantique des vocables. L'évolution sémantique des vocables s'effectue sous l'action de facteurs divers. Ces facteurs sont d'ordre extra-linguistique et linguistique.

Parmi les facteurs extra-linguistiques il faut nommer avant tout les changements survenus au sein de la société transformations sociales, progrès culturel, scientifique et technique; ici viendront se ranger les emplois des mots dans une sphère nouvelle de l'activité humaine, emplois dus à la différenciation de la société en couches sociales, groupes professionnels, etc.

Les transformations sociales, rapides ou lentes, sont des stimulants actifs de l'évolution sémantique des mots. Le tracé des modifications sémantiques d'un grand nombre de vocables présentent autant de repères marquant successivement des étapes historiques distinctes.

Les mots bourgeois et bourgeoisie n'avaient point à l'origine le sens qu'ils ont aujourd'hui. Le bourgeois, dit M. Schône. fut à l'époque féodale l'habitant du bourg, par opposition, d'une part, au vilain, l'habitant de la villa du maître et travailleur de la terre, et d'autre part, à ce maître lui-même, le seigneur [18. p. 77], Vers l'époque de la Révolution française le mot bourgeoisie désignait une classe sociale progressiste et avait une valeur positive. Ce mot. qui nomme à l'heure actuelle la même classe acquiert parfois une nuance défavorable aux yeux des masses laborieuses.

Le progrès dans l'instruction générale est attesté par le mot librairie qui désignait au Moyen Âge une bibliothèque et alors que de nos jours c'est un magasin où Ton vend des livres.

Les découvertes scientifiques, les acquisitions techniques se répercutent dans le système sémantique d'un grand nombre de vocables. Fusée à côté des sens tels que fil enroulé surun fuseau. pièce d'artifice et autres a reçu celui d'engin cosmique; antenne du sens de vergue oblique soutenant une voile a passé au sens de dispositif servant à l'émission et à la réception des ondes électromagnétiques: chaine en partant de l'idée de continuité a désigné dans un atelier une sorte de chemin roulant (travail à la chaîne) et aussi l'ensemble des stations ra-diophoniques émettant le môme programme (chaîne nationale).

L'emploi d'un mot dans une sphère nouvelle de l'activité humaine est aussi suivi de la modification de la structure sémantique des mots. Ce phénomène remarqué pour la première fois par M. Bréal a été mentionné depuis dans beaucoup d'ouvrages. En effet, en changeant l'aire de son emploi un mot peut prendre un sens soit plus général, soit plus spécial. Tel est le cas de beaucoup de vocables qui ont passé de la langue commune dans quelque terminologie ou jargon. Le mot virage dont le sens général est action de tourner, de changer de direction a reçu plusieurs sens spécialisés comme terme de photographie, de marine, de médecine. À partir du sens général forme, méthode le mot mode s'emploie dans des acceptions particulières en grammaire et en musique (mode majeur, mode mineur). Dans le jargon des écoles les mots coller, piocher, sécher prennent des sens particuliers.

Un mouvement contraire est aussi à signaler. Avec l'enseignement obligatoire qui a amené l'initiation d'un public toujours plus large au progrès technique et scientifique un nombre considérable de termes a reçu un emploi commun. Ainsi, cinéma, micro, enregistrer, téléphone, radio, avion, moteur, speaker, gaz, électricité, ordinateur, minitel, logiciel, puce, télex, scanner, Internet sont parmi les mots de haute fréquence.

Il peut y avoir aussi passage d'un mot d'une terminologie dans une autre. Beaucoup de ternies d'aviation ont été adopté par la terminologie maritime: escale, baliser, pilote, carlingue, passager, hélice, etc.

Les facteurs linguistiques sont tout aussi importants que les facteurs extralinguistiques, quoique moins étudiés. Des études intéressantes n'ont été amorcées que depuis quelques dizaines d'années et encore ne permettent-elles pas de sérieuses généralisations. Ce sont, en particulier, des ouvrages consacrés à l'influence réciproque des mots sémantiquement apparentés, formant des champs conceptuels et des séries synonymiques.

Toutefois de nombreux dépouillements restent à faire qui permettront de juger plus exactement du lexique français en tant que système.

Parmi les facteurs linguistiques il faudrait distinguer ceux qui agissent au niveau de la langue-système et ceux qui appartiennent au niveau de la parole. Au niveau de la langue nommons:

1. L'interaction des mots sémantiquement apparentés. Ce phénomène a été mentionné à plusieurs reprises à partir de A Darmesteter. En effet, les vocables sont associés par de multiples liens sémantiques déterminant leur place, leur fonctionnement et leur évolution ultérieure dans la langue. Les modifications sémantiques que subit un vocable rejaillissent généralement sur d'autres vocables unis au premier par des rapports variés. Ainsi on peut observerun mouvement sémantique parallèle dans les mots à sens proche. Dans l'ancien français les verbes songer et penser avaient des sens différents: le sens principal de penser était le même qu'aujourd'hui, alors que songer voulait dire faire un songe, un rêve Au XVIe siècle songer avait acquis le sens de penser, en tant que synonyme de ce dernier il s'employait dans les mêmes constructions, sans complément:

Par trop songer, cerveau ronger (Leroux de Li nc y); suivi de la préposition à:

... mais à quoi songeait-il, quand il définit l'homme un anima] à deux pieds, sans plumes (Montaigne);

avec la préposition en qui disparaît également pour l'un et l'autre verbe vers le XVIIe siècle. Par la suite le développement sémantique des verbes songer et penser suit des voies parallèles: les deux verbes reçoivent dans la construction avec la préposition à, suivie d'un infinitif, le sens d'avoir l'intention, le dessein de faire qch:

Le temps était très mauvais. Annette ne pensait pas à sortir de l'après-midi (Rolland).

et

...pas une seconde je n 'ai songé à vous retirer mon estime. (Tr oyat)

Le verbe songer acquiert, dans la construction avec la conjonction que. un sens synonyme à l'un des sens secondaires du verbe penser, celui de supposer: ce sens est rendu par ces deux verbes dans le français contemporain:

J'ai pensé que tu avais peut-être besoin de compagnie. (Sartre)

Pas un moment où ces maîtres excellents ne songeaient que parmi leurs élèves, dût se trouver un écrivain ou un orateur. (Re n an)

La modification du sens d'un mot peut aussi se répercuter sur l'évolution sémantique d'un mot à sens opposé. L'adjectif noble étant appliqué au XVIIe siècle aux oiseaux de proie qui servaient à la chasse, ignoble a désigné désormais tous les autres oiseaux.

2. L'interdépendance des mots faisant partie de la même famille étymologique. L'expression perle orientale a commencé à s'employer au sens de perle brillante. les perles orientales étant réputées pour leur éclat: il en résulte qu'orient reçoit à son tour le sens d'éclat dans l'orient d'une perle. Au XVIIe siècle le verbe songer a signifié s'abandonner à la rêverie sous l'influence des mots de la même famille: songerie - rêverie, chimère (déjà au XVe siècle), songe - rêve. rêverie (à partir du XVIe siècle), songeur - celui qui s'abandonne à la rêverie (depuis le XVIe siècle).

Toutefois la parenté étymologique n'implique pas obligatoirement la conformité sémantique ce qui est dû au caractère asymétrique de l'évolution de la langue. Ceci a été démontré par 0. Duchacek dans son étude spéciale consacrée au champ conceptuel de la beauté [ 19. p. 319]. Citons en guise d'exemple charme, charmes et charmant qui recèle l'idée de beauté, alors que charmer, charmeur, charmeresse en sont dépourvus.

3. L'influence des mots à sonorité similaire. Citons l'exemple de saligaud qui a pris le sens de personne malpropre au physique et au moral sous l'influence de sale, auquel il se rattache aujourd'hui, quoi-que historiquement il provienne du surnom Saligot.

Au niveau de la parole on pourrait signaler l'influence réciproque des mots associés par un rapport de contiguïté. Les mots constamment agencés les uns aux autres dans l'énoncé sont sujets à la contagion sé-mantique. Ce phénomène est souvent accompagné de l'ellipse. C'est ainsi que sont apparus dépêche de dépêche télégraphique, ligne de ligne de pêche, bâtiment de bâtiment de mer: dans faire la tête on sousentend faire la tête boudeuse, dans le vin dépose - le vin dépose un résidu: pour un Parisien le Bois de Boulogne devient le Bois.

Telles sont à grands traits les causes essentielles de l'évolution sémantique des vocables.

 





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